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Pearly Gates : Incipit


Donc vous l'aurez compris, je sors enfin mon premier roman chez L'Ivre-Book, l'éditeur numérique qui a publié mes premières nouvelles. Lilian Ronchaud son éditeur est un mec extraordinaire car il me fait confiance. Je pense qu'en plus d'être quelqu'un de bien, il est surtout un peu dérangé, justement parce qu'il me laisse sortir un Space Opera chez lui. Je m'explique: s'il y a bien un genre mal aimé, c'est bien le space Op'! Si en plus, vous l'abartadissez avec du rock, de l'humour et que vous vous jouez de tous les conseils du genre (je ne les citerais pas mais lisez ça: http://www.revue-solaris.com/pour-les-ecrivains/dossier-special-comment-ne-pas-ecrire-des-histoires/), il y a du défi!

Bon de toute façon, j'ai aimé écrire ce roman et je vous fais partager le début ici:

Bonne lecture, et à bientôt:

KRISTO

And so we pass on by the crimson eye of Great God Mars as we travel the universe

Nous passons sous l’œil cramoisi

Du Grand Dieu Mars

Tandis que nous traversons l’univers

Black Sabbath – Planet Caravan

Kumphat, Système de Balthar. Année stellaire 2858

I

Au milieu de la poussière, Kristo Drixon se faisait l’effet d’être une particule dans un immense aspirateur. Sa mission sur Kumphat se terminait dans deux semaines et il doutait encore qu’ils puissent finir dans les temps impartis par le Consortium. Sa Caste avait reçu l’ordre d’être la première à poser le pied sur cette planète paumée et inhospitalière et il ne se passait pas un jour sans que le ressentiment qu’il éprouvait à l’encontre des décideurs ne se manifestât par un accès de fureur. Il avait laissé, comme tous ses ouvriers, femme et enfants dans la base spatiale Acerius et il le regrettait terriblement. Mais voilà, il était le chef de section et son travail, bien que difficile, devait être terminé à temps. Sa femme, Shandra, tout aussi pénible qu’elle pouvait l’être, lui manquait. Il faut dire que depuis quelque temps, leur union n’était pas au beau fixe. Les contingences les minaient terriblement. Les Titres-crédits se faisaient rares dans sa Caste et ce boulot ingrat de prospection était arrivé à point nommé pour les dépenses qu’ils avaient dû affronter récemment. Les enfants coûtaient cher, surtout depuis que Shandra s’était mise dans l’idée de concevoir des jumeaux, qui viendraient s’ajouter aux deux premiers petits Drixon. Bref, ils étaient dans la panade et lui seul devait faire face.

Il n’aimait pas beaucoup les responsabilités, mais au vu de sa position dans la compagnie, il n’avait pas eu le choix. Des personnes comptaient sur lui : ses patrons, ses subalternes et sa famille. Il détestait cette pression. Il s’adressa à Janto, l’ingénieur en chef et son plus vieux collaborateur :

— Il faudrait débuter le forage dans une heure avant qu’on soit tous crevés par la poussière ! Les équipes attendent les derniers relevés géologiques.

Un gars bizarre, ce Janto. Rien ne pouvait le distraire de l’exercice de son métier. D’aucuns faisaient état de son absence totale d’empathie. Il pouvait, par exemple, tuer ses ouvriers à la tâche, mais les récompensait grassement s’ils suivaient à la lettre ses directives. Un pragmatique cynique, en somme, l’employé modèle du Consortium. Kristo aurait dû le conchier allègrement, mais il ressentait parfois à son égard une sympathie inexplicable. Peut-être ressemblait-il un peu trop à l’un de ses frères aînés, celui qui s’était perdu dans le cosmos avec une mission d’exploration, il y avait de cela quelques années. Il se rappela qu’ils avaient tous deux cette même rigidité robotique et que leurs métiers respectifs étaient plus des sacerdoces que des gagne-pain. Le souvenir de son frère occasionnait toujours un pincement au cœur chez lui. Jeune, il l’avait beaucoup admiré. Mais pour l’instant, le travail l’appelait devant sa console de commandement. Janto annonça :

— Les relevés sont sur le HUD central. Pas mauvais finalement, excepté cette tache sombre sur le sonar. Tu vois, je pense qu’en déviant les foreuses, on pourra atteindre le filon d’illythium sans problème. J’attends que tu les valides pour démarrer les machines.

Cette poche d’un kilomètre de large le mettait mal à l’aise. Les sondages effectués ne donnaient que des indications parcellaires sur sa composition. Un gaz lourd peut-être ? De toute façon, il fallait la contourner entièrement, ce qui allait faire prendre un retard supplémentaire à l’opération.

— OK. C’est validé. Je crois qu’on peut envoyer !

Kristo déverrouilla les commandes et appuya sur l’autorisation informatique. Les ouvriers se virent transmettre l’ordre par impulsions neurales et enclenchèrent leurs machines simultanément. Des milliers de tonnes de métal s’activèrent et les immenses foreuses se mirent à l’œuvre. La croûte se craquela et les vibrations se firent sentir jusque dans le poste de contrôle où se trouvaient Kristo, Janto et les autres ingénieurs. Chaque mètre foré l’angoissait. La responsabilité d’une trentaine d’ouvriers le tuait. Sa Caste avait la spécificité d’être toujours en première ligne et récoltait régulièrement les forages dangereux.

Tout cela l’affectait. Il avait beaucoup maigri ces derniers temps et ses yeux bleus étaient profondément enfoncés dans leurs orbites. Des cernes étaient apparus. Sa carrure de lutteur était mise à mal par toute cette pression et à quarante ans, il se voûtait déjà. Son bilan médical avait toujours été correct, mais le médecin qui l’avait examiné récemment lui avait donné des fortifiants pour compenser certaines carences. Dépité, il se demandait ce qui le poussait à continuer de vivre dans cette société qu’il exécrait. Plongé dans ses pensées, il n’avait pas remarqué que les foreuses se trouvaient déjà à quelques dizaines de mètres de la poche. Il ordonna de stopper la descente et demanda un rapport à Janto :

— Où en est-on ?

— Forage interrompu. Poche d’origine inconnue dans l’axe des foreuses. On contourne ?

— Faudrait… Janto, j’ai quand même envie de faire un relevé topographique de cette zone et un prélèvement de cette saloperie qui nous barre la route. Tu m’envoies Kalisto et un chaperon par la plate-forme d’extraction. Tu lui dis de faire bien gaffe où elle met les pieds et si elle pense que c’est organique, elle replie le matériel et elle dégage tout de suite.

— On va perdre au moins une heure ! Je pense qu’on devrait contourner. Le Consortium est très clair à ce sujet et…

— Ne joue pas la carte du Consortium avec moi. Je connais les préceptes aussi bien que toi, mais ici je dirige et je décide, donc on va prendre la température de ce machin et on avisera par la suite. Il est probable qu’on puisse le traverser sans dommage si c’est comme je le pense une poche de gaz inerte ou un agrégat géologique… et puis le temps qu’on perdra dans la manœuvre, on le récupérera par la suite. Si on peut passer les foreuses à travers sans dégâts, c’est tout bénef.

Kristo était en sueur et passablement en colère. Cette perte de contrôle serait notifiée dans le rapport de mission. Son vieil ami n’abandonnait jamais son sang-froid légendaire et on voyait dans son regard qu’il préparait déjà sa prose pour les bureaucrates du Consortium. Qu’importe, il lui tardait de rentrer à la base et cette manœuvre le rapprocherait de son désir de dégager de cet amas de poussière merdique. Le visage de Janto resta de marbre. Il exécuta l’ordre de son supérieur :

— OK. Bien reçu. Contrôle à Kalisto Delta.

— Ici Kalisto. Neuroconnexion établie.

— Kalisto, vous prenez un chaperon et vous examinez la zone inconnue en utilisant la plate-forme de forage. Prélèvements et données topographiques exigés.

— À vos ordres !

Kristo ressentait une énorme fatigue doublée de l’angoisse habituelle qui le taraudait depuis sa prise de poste. La jeune fille en charge des prélèvements était certes capable, mais inexpérimentée. Elle risquait sa vie. La hiérarchie ne lui laissait pourtant pas le choix, c’était elle qui était en faction, la plus jeune, la plus dispensable, le sacrifice possible. Les principes de la Caste étaient clairs : les preuves faisaient loi. Il entendait son père lui dire, vingt ans auparavant, qu’on ne décidait rien dans la vie de la Caste, on lui prouvait juste qu’on se moquait de sa décision. Un pied de nez à la mort et surtout une déclaration d’humilité qu’il avait apprise à la lettre. Son père était le même genre d’homme que Janto. Il les admirait, mais savait qu’il serait différent : Kristo, lui, avait peur de mourir. Le jour où il s’était confronté à la grande Ordalie, il en avait pissé dans son froc. Il trouvait navrant de remettre son existence entre les mains du hasard. Quand ce fut terminé, il avait sombré dans une dépression qui ne l’avait jamais totalement quitté. Il avait survécu à l’épreuve aléatoire, comme une majorité d’autres jeunes de sa Caste, mais contrairement à ses congénères, il s’était senti profondément blessé par cette expérience. La fête qui avait suivi la Grande Ordalie avait eu un goût amer. Tant de souffrances pour cette tradition éculée... Ridicule ! Il aurait pris la Lance Sacrée et l’aurait volontiers enfoncée dans le cul des prêtres pour voir s’ils pouvaient y survivre. Il était là maintenant, à se geler sur une planète inhospitalière avec l’insigne honneur d’être un survivant qui attend la mort choisie par le Consortium. Un grésillement, qui annonçait une communication, coupa court à ses considérations :

— Kalisto Delta, au rapport.

— Alors c’est quoi ce truc ?

— Je ne sais pas trop, les capteurs sont perplexes et moi de même… Je n’ai jamais vu ça, Chef ! Le chaperon est en train de plonger les thermosondes et les sonars. À vue d’œil, c’est un agglomérat métallique. Je pense qu’il y a deux couches bien distinctes : la première est quasi transparente, comme du verre. En dessous, je crois apercevoir une coque. C’est délirant. Cette chose a été construite par l’homme, c’est certain.

— Pas de traces d’identification ?

— Aucune que je connaisse, en tout cas !

— OK, tu laisses le chaperon terminer et tu rentres à l’intérieur. Tu actives le protocole de décontamination et tu ne bouges plus. Compris, Kalisto Delta ?

— Reçu contrôle. Terminé.

Encore un contretemps. Son visage exprimait une lassitude totale. Il tourna la tête et vit que toute la cellule de commandement le regardait, attendant ses ordres directs. Il en avait assez de contempler ces mines ternes qui lui demandaient sans cesse des comptes. Il s’emporta :

— Bougez-vous ! Mettez en place les protocoles actifs. Je veux une équipe prête dans une demi-heure. Et qu’on relève Kalisto et son chaperon… Elle est trop jeune pour l’exploration, je veux pas qu’elle fasse tout foirer.

— Vous avez entendu le patron, renchérit Janto. Au boulot. Convoquez Arkadius, Ultryo et leurs chaperons. Qu’ils soient au sas de lancement dans un quart d’heure !

— Je vais y aller aussi, dit Kristo. Je superviserai directement l’opération.

— Et le contrôle opérationnel ?

— Putain, tu prends la direction, j’ai pas à te le dire…

Habituellement, la voix monocorde de Janto le rassurait, mais dans ces moments-là, il ressemblait tellement au stéréotype du Consortium qu’il aurait pu le frapper. Il essaya de se persuader qu’il n’était pas comme lui, un pantin, mais rien n’était moins sûr.

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